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Outro Sertão (2013)

un documentaire réalisé par Adriana Jacobsen et Soraia Vilela

 

 

Par Marcelo Miranda

 

“Avant tout, le sertanejo est fort”

(Euclides da Cunha, Hautes terres, la guerre de Canudos)

 

 

 

La bonhomie typique du véritable habitant du Minas surgit cristaline dans les extraits d’un entretien dans lequel l’écrivain João Guimarães Rosa parle à un critique littéraire à propos de son processus créatif et de la composition de Grande Sertão : Veredas (1956). L’image de sympathie et de bonne causerie résume dans la délicatesse de l’auteur le rôle humanitaire qu’il a joué à Hambourg à la fin des années 1930, lorsque, en tant que vice-consul, il a permis la fuite de juifs persécutés par les nazis. Il y a quelque chose de naïf chez cet interviewé de la télévision – la cigarette à la main, les lunettes trop épaisses, les dents problématiques, le sourire hypnotisant et la rhétorique séductrice – mis en contraste, dans le même temps, avec le génie des lettres et le héros discret que l’on retrouve dans les récits de Juifs ayant réussi à fuir l’Allemagne grâce à l’intervention du jeune diplomate d’alors.

 

Cette vision multiplicatrice de Guimarães Rosa est ce qui nous séduit le plus dans le contact avec Outro Sertão. Le documentaire dirigé par Adriana Jacobsen et Soraia Vilela se construit en filigrane, dans une sorte de récit qui assume un certain classicisme de cause et de conséquence, capable de préparer le paroxysme qui arrivera aussitôt. Pour cela, les réalisatrices ont recours à des images d’archives du Hambourg des années 1930, à des photographies du jeune Rosa, à la lecture (en voix off de Rodolfo Vaz), à des lettres et des extraits du journal de Rosa, relatant son expérience allemande, ainsi qu’à la sonorisation par le duo O Grivo qui essaie d’une certaine manière de donner une nouvelle vie à cette série d’images. Jacobsen et Vilela, donc, arrivent avec un véritable arsenal de ressources audiovisuelles afin de prendre en compte un fragment de la vie de Rosa, qui les intéresse effectivement et dont elles se rapprochent de scène en scène, de coupure en coupure, sans se hâter de révéler tout de suite de quoi finalement elles souhaitent nous parler.

 

À tel point que l’entretien de Rosa accordé à la télévision allemande surgit au milieu du documentaire d’une façon soudaine, comme une présentation de l’auteur-protagoniste, la personnification par l’image de celui à qui le film se rapporte tout le temps et dont il emprunte même la « voix » par le biais de sa correspondance. Rosa, dans cet extrait, devient effectivement le personnage du film, il acquiert un corps, des manières d’agir, une voix (ici sans les guillemets), une personnalité, enfin. Lorsque le film clôt cette parenthèse et reprend son idée centrale, c’est un autre Rosa que l’on découvre : ce n’est plus le Rosa de Rodolfo Vaz ou des images ou du Grivo ou des photographies, mais un Rosa de chair et d’os, fruit d’un nouvel imaginaire et d’un statut que le film s’efforce de lui offrir. Ainsi, quand finalement ses actions favorables aux Juifs sont révélées, c’est le Rosa gentil et plaisant qui nous revient en tête, avec sa tête de voisin de la porte à côté, lançant des blagues et des boutades au présentateur, le sourire toujours ouvert. C’est le même Rosa qui, dans la description de la fille d’une femme juive qu’il a aidée, avait surgi presque miraculeusement, tranquille dans un coin, en demandant une semaine pour régler les papiers qui sauveraient sa famille.

 

 

 

 

Le retour de ces images de l’écrivain à la fin du film renforce l’imaginaire construit tout au long de Outro Sertão. Adriana Jacobsen et Soraia Vilela ne souhaitent pas vraiment louer l’écriture d’un des plus célèbres artistes du XXe  siècle (aucun émerveillement ou hyperbole dans cette affirmation : pour la confirmer, il suffit de lire l’œuvre de João Guimarães Rosa), parce que c’est un fait que le film évoque depuis le début.  Outro Sertão existe comme reprise complémentaire d’une biographie, comme une tranche très spécifique (1938 à 1942) de la trajectoire d’un écrivain dont les actions personnelles ne sont pas en général rappelées partout. C’est pourquoi le fil narratif sert à ces deux propos : celui de révéler les images du passé et celui de jouer avec elles (Rosa à l’âge de 30 ans) en contraste avec l’image du futur Rosa (à 50 ans environ) dans une émission télévisée. Dans le rapprochement de ces différents moments, perspectives et découvertes, se révèle la manière d’être, si typiquement discrète des gens du Minas Gerais, que le film assume, car il ne commet aucune faute (pour reprendre le mot employé dans un témoignage à propos des actions de Rosa au profit des Juifs) ni avec l’image ni avec la mémoire de l’écrivain. Outro Sertão montre le caractère concret  et la rare objectivité d’un récit (jusqu’où cela est possible). Rosa, s’il avait vu ce film, aurait sûrement lancé quelques boutades, à sa manière.

 

Le documentaire “Outro Sertão”, consacré à la période pendant laquelle l’écrivain brésilien João Guimarães Rosa (1908 – 1967) a vécu comme diplomate en Allemagne (1938 – 1942), a été présenté pour la première fois, dans le cadre du Festival du Cinéma Brésilien 2013 à Brasília, où il a remporté le Prix Spécial du Jury. Lors du Festival de Cinéma de São Paulo, le film a été choisi par le public comme le Meilleur Documentaire National. Le texte ci-dessus, publié à l’origine sur le site www.filmespolvo.com.br a été généreusement cédé par le critique Marcelo Miranda à la revue Plural Pluriel.

 

Marcelo Mirande est journaliste et critique de cinéma à Belo Horizonte (Minas Gerais, Brésil). Il a été reporter du journal O Tempo (de 2006 à 2012). Coéditeur de la revue numérique Filmes Polvo et collaborateur d’autres sites de cinéma, il a écrit aussi dans les revues TeoremaFilme Cultura et Monet, ainsi que dans les journaux Estado de Minas, Estado de S. Paulo, Valor EconômicoZero Hora et Folha de S.Paulo. Il a publié des textes dans des catalogues de rétrospectives (Clint Eastwood, Alfred Hitchcock, les frères Coen, John Carpenter, Charles Chaplin, Howard Hawks, Cinema de Garagem), de festivals de cinéma (Tiradentes, Goiânia Mostra Curtas et Festival SESC Melhores Filmes) et dans l’ouvrage, Os Filmes que sonhamos.

 

 

Traduit du portugais par Eduardo Horta Nassif Veras, revu par Edson Rosa.