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Lindanor Celina, la voyageuse : un itinéraire d’amitié

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par Ana Maria Cortez
Témoignage présenté le 25 mai 2009 au Colloque International
"Amazonies brésiliennes : imaginaires et création contemporaine"
Première Session "Dalcídio et Lindanor"

 


Evoquer Lindanor Celina engage dans les méandres d'un voyage à travers l'espace et le temps. Voyage de l'amitié. Temps du partage. Espace de la joie. Lindanor avec qui j'ai partagé une amitié éclairée par son éclatante joie de vivre, illuminée par ses improvisations, issues de son talent créateur.

Que dire lorsqu’une personne si profondément estimée disparaît ?

Celina a légué plusieurs épisodes dans sa vie de femme-romancière. J'aimerais en rappeler quelques-uns. J’ai connu Lindanor Celina — Linda, dans l’intimité — à la belle époque de sa préparation du doctorat  de 3ème cycle. C’était le début des années 70. Temps de découvertes, où la vie paraissait éternelle. Lindanor écrivait sa thèse, Quelques Aspects du Conte chez Mário de Andrade, sous la direction du Professeur Léon Bourdon. De mon côté, je commençais un Doctorat en Linguistique, sous la direction du Professeur André Martinet.

Lindanor habitait la Maison du Portugal (André de Gouveia), à la Cité Universitaire de Paris, Boulevard Jourdan. À la Sorbonne, nous ne suivions pas les mêmes couloirs. Nos chemins se croisaient entre l’Institut d’Études Portugaises de la Sorbonne et le café  "L’Escholier", sur la Place de la Sorbonne, où j’ai connu aussi, début  1972, celui qui allait devenir le compagnon de Celina, Serge Casha.

Nous discutions de sujets littéraires, linguistiques, et bien sûr du Brésil, de la France…  Ainsi, le Pará (où Lindanor Celina est née, dans la ville de Bragança) et Natal s'entrecroisaient et s'entremêlaient aux joies de l'amitié. Ce temps de "L’Escholier" reviendrait sans cesse dans nos conversations. C'était hier : la joie de Lindanor annonçant "son prix WALMAP", qui venait récompenser son roman Breve Sempre ("Brève Éternité"), dédié à Léon Bourdon.  C'est là aussi que nous composions nos "menus" de sorties, soirées animées au cœur de Saint-Germain-des-Prés, ou plus haut, entre Odéon et Sorbonne — théâtres, cabarets, où parfois "Linda" prenait une guitare pour accompagner aux chants de sa saudade. À "L'Escholier", la langue, la littérature, la société, les personnages, les écrivains, les artiste étaient notre pain quotidien.

Je partageais avec quelques amis ses joies, ses peines — elle était mère de trois garçons adultes —, ses déboires, ses projets, ses enthousiasmes. Aujourd’hui encore, évoquer "Linda", c’est  revoir son sourire. Elle avait dit plusieurs fois : "J’ai rendez-vous avec Simone ", avant que je lui pose la question : "Mais quelle Simone ?" Elle rétorqua sur le champ : "Simone de Beauvoir !" En effet, dans A Viajante e seus Espantos ("La Voyageuse et ses Étonnements"), Lindanor relate certains des épisodes d’un voyage de Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre au Brésil, précisément à Belém. En tant que journaliste, elle avait eu un entretien avec eux au Grande Hotel.  C'est ainsi que, depuis 1960, au-delà de l’admiration qu’elle portait à l’œuvre de Beauvoir, une amitié était née et suivait son chemin. (Cf. A Viajante e seus Espantos, p. 101-103 et 136-138).

Ce livre, A Viajante e seus Espantos, est un ensemble de chroniques où se mêlent épisodes, personnages et souvenirs de vacances, oscillant entre réalité et fiction. J’y  redécouvris les sujets qui alimentaient nos conversations, source de création parmi d’autres, réalité "photographiée" en instantanés devenus fiction.

Dans les années 80, nos rencontres furent moins fréquentes : Lindanor enseignait à l’Université de Lille et moi à l’Université de Paris XIII. Mais, nous parlions de ses vacances, en Grèce, dans l’île de Skyros, avec Serge. Le grec était l’une de ses langues de prédilection. Elle l'aimait et était très fière de la parler. Ses vacances étaient ainsi partagées entre Skyros et Cannes, où résidait la famille de Serge Casha ; et, bien entendu, ses escapades prolongées au Brésil, parmi les siens (Cf. Diário da Ilha, et tous ses souvenirs de Cannes dans A Viajante e seus Espantos).

Notre amitié perdurait et se mêlait à la vie professionnelle : en plein mois d’août 1991, Lindanor m’appelle pour que je vienne prêter main-forte à Serge Casha, alors responsable de l’enseignement du portugais à Nanterre. Et c’est ainsi que j'ai assumé, de 1991 jusqu’à 2003, des charges de cours à l’Université Paris X.

L'existence de Lindanor se partageait entre ses cours à Lille, son écriture et sa vie de famille au Brésil et en France, dans une mouvance de perpétuelle créativité. Lindanor avait le don d'inventer un scénario, dans le cours même de nos conversations. Avec courage, elle savait sublimer sa souffrance d'être loin des siens ; avec talent, elle pouvait créer des histoires sur le magma de ses saudades. Elle connaissait aussi bien la joie des bons vivants que le silence de l’écriture.

Le manque douloureux de ses enfants, de sa famille, était perceptible.  Ses voyages au Brésil — à Belém surtout, mais aussi à Rio ou São Paulo —  étaient l’occasion de réunir famille et activités littéraires. Comme ce fut le cas du  lancement en 1994, à Belém, de Eram Seis Assinalados ("Ils étaient Six Marqués du Sceau") à l’Academia Paraense de Letras.

Une nouvelle étape de cet itinéraire d'amitié amena Lindanor à intervenir, sur mon invitation, dans mes cours à Nanterre pour y parler de son livre. Mes étudiants avaient analysé Eram Seis Assinalados sous différents angles : littéraire, linguistique et stylistique. J’ai conservé ces copies, avec mes cours des années 1997-1998. Dans un de ces devoirs, daté de mai 1998,  malgré l'épreuve pleine de difficultés que pouvait représenter pour un étudiant de première ou deuxième années la découverte d'un roman aussi dense et d'une écriture aussi peu académique , un étudiant avait développé avec pertinence la dramaturgie des rapports de force entre IRENE et sa mère Dona ADÉLIA, et, d’autre part, son amie ROSA. Un autre donnait son opinion : "En ce qui concerne le dialogue de l’évêque, nous remarquons un mélange du temps passé avec le présent ; et tandis que dans le dialogue D’IRENE les personnes se mélangent, les deux consciences, celle D’IRENE et celle de l’évêque, se mêlent aussi." (p. 120-121). Un autre commentait : "A propos du vocabulaire, l’écrivain emploie beaucoup de mots spécifiques au portugais du Brésil, et parfois d’un coin (de um canto) [sic] du Brésil."

ADÉLIA, IRENE, ROSA, le prêtre et d'autres personnages faisaient déjà partie de l'univers de Lindanor, depuis la publication de son premier roman, Menina que vem de Itaiara ("Une jeune fille qui vient d'Itaiara"), qui l’avait fait entrer brillamment dans le monde des écrivains du Pará. Puis il y avait eu Estradas do Tempo-Foi ("Routes du Temps-qui-Fut"), toujours avec la même "menina" IRENE. Dalcídio Jurandir disait de cette menina qu'elle "vivait parmi ses rêves et ses étonnements", et de l'auteur du roman qu'elle "conversait plus qu'elle n'écrivait, avec franchise ou candeur, en mettant en scène avec vivacité".

Cette capacité à redonner vie, à faire coexister réalité et fiction, à mettre en scène sa mémoire sans cesse mouvante, étonne, particulièrement dans "La Voyageuse et ses Étonnements", ce recueil de chroniques "européennes".

Les dernières années, "Linda" et moi nous voyions moins souvent car sa santé était déjà fragile.

Lindanor avait une dévotion particulière pour Sainte Thérèse de Lisieux. Peu d'années avant sa disparition, elle m’avait fait part de son désir d’aller à Lisieux, en remerciement d'une grâce reçue. Ce fut l’un des derniers voyages de "La voyageuse et ses Étonnements".

Quelques mots encore, pour dire mon amitié, pour parler de "Linda" — car parler d'elle c'est encore parler avec elle — ; pour savourer, par elle et avec elle, les plaisirs des mots à travers son écriture. Ses vacances à Skyros avec Serge. A la page 149 du Diário da Ilha ("Journal de l’Île") : "2 de agosto. Mas já? Todos esses dias sem nada para dizer. Ou sem vontade." ("2 août. Mais déjà ? Tous ces jours sans rien à dire. Ou sans envie."). Je la vois, elle est en face de moi, et nous sourions ensemble. J’ai eu la chance de partager avec elle et avec Serge un peu de sa vie dans ce jardin qu’elle évoquait dans la Viajante (p. 132-133): "O Petit-Clamart é um Jardim".

Lindanor aimait fredonner "Chão de Estrelas", de Oreste Barbosa/Sílvio Caldas: "Minha vida era um palco iluminado" ("Ma vie était une scène illuminée").

Eternelle Linda.

 

 

Œuvres citées :


Menina que vem de Itaiara. Roman. 199 pagges. Ed. Conquista. Rio de Janeiro. 1963. — Ed. CEJUP. Belém-Pará. 1995. — Id. 1996.
Estradas do Tempo-Foi. Roman. 216 pages. Ed. JMC. Rio de Janeiro. 1971. [Prix Samuel Wallace Mac Dowell, du Gouvernement de l'État du Pará]. — Ed. LIBER. Lisbonne. 1985. Lancement et soiré d'autographes, le 18 décembre 1985, à Lisbonne.
Breve Sempre. Roman. 167 pages. Ed. Companhia Editora Americana. Rio de Janeiro. 1973. [Première mention honorable du Prix National WALMAP].
A Viajante e seus Espantos. Recueil de chroniques littéraires. 168 pages. Ed Cultural CEJUP. Belém-Pará. 1988. Lancement et soirée d'autographes, le 1er septembre 1988, à l'Academia Paraense de Letras, Belém.
Diário da Ilha. Recueil de chroniques littéraires. 240 pages. Ed. CEJUP. Belém-Pará. 1992. Lancement et soirée d'autographes, le 12 août 1992, à l'Academia Paraense de Letras, Belém.
Eram Seis Assinalados. Roman. 248 pages. Ed. CEJUP. Belém-Pará. 1994. Lancement et soirée d'autographes, le 30 septembre 1994, à Bragança-Pará ; et le 6 octobre 1994, à Belém. Présent sur le stand de l'Ed. CEJUP, en août 1994, à la Bienal Internacional do Livro de São Paulo ; et, en octobre 1994, à la Foire Internationale du Livre de Francfort.